Musée du Louvre, aile Richelieu, 2e étage, salle 14
Huile sur toile, 148 x 120 cm. Sujet tiré de la 2e Épître de Saint Paul aux Corinthiens (chapitre 12).
Détails de l’oeuvre :
Paul Scarron (1610-1660), le fameux poète bossu, créateur en France du genre burlesque, à la réputation certaine et au luxueux salon très fréquenté, passe commande en 1645 d’une toile à Nicolas Poussin, via l’entremise de Paul Fréart de Chantelou. Le peintre rechigne, y répond par la négative à plusieurs reprises, malgré l’insistance du poète, et prévient son ami Chantelou : Je voudrais bien que l’envie qu’il lui est venue lui fût passée, et que ma peinture ne lui plût non plus que ne me plaît son burlesque
.
Nicolas Poussin accepte finalement d’honorer cette commande début 1649, avec en vue un sujet bachique. On ne sait pas si le poète a souhaité se dégager de sa propre réputation, mais toujours est-il que ce sera le Ravissement de saint Paul – le saint patron de Scarron – qui lui sera envoyé, tableau immédiatement considéré comme un chef d’oeuvre.
Le sujet
Faut-il se glorifier ? Cela n’est pas utile ; j’en viendrai néanmoins à des visions et à des révélations du Seigneur. Je connais un homme dans le Christ qui, il y a quatorze ans, fut ravi jusqu’au troisième ciel (si ce fut dans son corps, je ne sais ; si ce fut hors de son corps, je ne sais : Dieu le sait). Et je sais que cet homme (si ce fut dans son corps ou sans son corps, je ne sais, Dieu le sait) fut enlevé dans le paradis, et qu’il a entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme de révéler. C’est pour cet homme-là que je me glorifierai ; mais pour ce qui est de ma personne, je ne me ferai gloire que de mes faiblesses
. Tels sont les mots que Paul, parlant de soi-même, prononce dans sa seconde Epître aux Corinthiens (chapitre 12, 1-5).
Dominique Ponnau, dans sa conférence sur Le ciel à l’âge classique à travers les peintures de Poussin, parle ainsi de ce tableau : « …vous avez le ciel naturel, au dessus des nuages et de ces trois anges qui forment une boule magnifique emportant saint Paul ; vous avez ces nuages épais, vibrants qui constituent dans leur opacité même le ciel dont parle saint Paul, à ceci près que saint Paul ici regarde plus haut que ces nuages, au delà du tableau, au delà de notre vue, ce ciel où il a vu des choses qu’il ne peut pas reproduire et entendu des paroles qu’il est interdit à l’homme de redire. »
Le traité des modes : l’hypolydien
Nos braves anciens Grecs, inventeurs de toutes les belles choses, trouvèrent plusieurs modes par le moyen desquels ils ont produit de merveilleux effets. […] Etant les modes des anciens une composition de plusieurs choses mises ensemble, de leur variété naissait une certaine différence de mode par laquelle l’on pouvait comprendre que chacun d’eux retenait en soi je ne sais quoi de varié, principalement quand toutes les choses, qui entraient au composé, étaient mises ensemble proportionnément, d’où procédait une puissance d’induire l’âme des regardants à diverses passions
(lettre à Paul Fréart de Chantelou, novembre 1647).
Le traité des modes, principe d’expression découlant de l’Antiquité, selon lequel il convient d’adapter à la pensée du peintre non plus les personnages mais les éléments plastiques, se retrouve dans cette toile. Et plus précisément le mode hypolydien, qui contient en soi une certaine suavité, une douceur, s’accommode aux matières divines, gloire et paradis, et remplit de joie l’âme des regardants
. Le ravissement, dans tous les sens du terme.
Une première version du Ravissement de saint Paul au musée d’Art de Sarasota (Floride, USA)
Poussin avait déjà traité ce sujet en 1643 pour son ami et mécène Paul Fréart de Chantelou. Cette toile est aujourd’hui la propriété de The John and Mable Ringling Museum of Art de Sarasota.
Michel Natalis (1610-1668) en a réalisé une gravure exquise :
Détail du groupe autour de saint Paul (vous remarquerez les putti et les anges sans ailes, à la différence de la version du Louvre) :
Autres détails :
C’est Françoise Chandernagor qui, dans son Allée du Roi sur la vie de Mme de Maintenon, m’a mené vers ce tableau. Elle fait dire en effet à la veuve de Paul Scarron, que « cette peinture et moi avons suivi le même chemin, de la rue Neuve-Saint-Louis au château du Roi [Versailles], passant également par l’hôtel de Richelieu », ajoutant, quelque peu irrévérencieusement, chercher de l’amitié dans « ce paquet de couleurs jeté sur une toile ». Elle situe la toile dans le « cabinet des Tableaux » précédant celui des Curiosités, donnant sur la cour de Marbre.