Nous avons échangé avec Guy de Compiègne avant la publication de son nouveau livre sur Poussin, Apollon et Daphné à la source des Andelys.
• Vous vous apprêtez à publier un livre autour du dernier tableau de Poussin, Apollon amoureux de Daphné, oeuvre testament que vous aviez déjà étudiée dans votre essai de 2015, L’Ambiguïté Recherchée. Cette oeuvre majeure, inachevée, n’a donc pas encore révélé tous ses secrets ?
Nicolas Poussin, lorsqu’il peint ce tableau, souffre d’une paralysie gagnant sa main et ne sait pas s’il sera en mesure de l’achever. Désire-t-il seulement revisiter une dernier fois Ovide ou envisage-t-il une œuvre à part, un testament lui permettant de faire un ultime point sur sa vie ? En analysant cette œuvre pour mon dernier livre j’avais entraperçu quelques pistes qui reliaient ce testament et sa Normandie natale mais il m’a fallu des mois de recherche sur place pour découvrir sa signification pour Poussin. C’est ce travail que je souhaite partager aujourd’hui.
Les variations entre les esquisses préliminaires révèlent des ajustements successifs que la fable d’Apollon amoureux de Daphné ne justifie pas, et qui font entrevoir une raison au-delà de l’illustration. Pourquoi situer la scène au bord d’une rivière pour ensuite en tarir la source et finalement demander au dieu de la rivière de pointer le sol ? Comment expliquer la soudaine apparition de deux dryades grimpant dans un arbre ou la nécessité de varier la position des chiens ?
Ces variations semblent confirmer que ce tableau n’est pas une simple illustration, mais bien une allégorie mûrement réfléchie, où chaque élément trouve sa place dans un récit riche en rebondissements.
• Vos recherches sur ce tableau vous ont notamment conduit aux Andelys, la ville natale de l’artiste. Existe-t-il un lien tangible entre la Normandie et cette oeuvre ?
Absolument. Sa dernière peinture et le lieu de son enfance sont intimement liés, ce qui permet de mieux comprendre Poussin. Apollon amoureux de Daphné évoque aussi la première vie de l’artiste et ses paysages du Vexin normand, avant son arrivée à Rome à l’âge de 30 ans. En pénétrant derrière la toile par ces petits détails qui sont autant de portes sur son univers, vous serez surpris de réaliser l’importance qu’il attribuait aux lieux de sa jeunesse.
• Cette oeuvre serait donc un portrait de Poussin, un ultime autoportrait ?
Avec ce tableau, Poussin se choisit en effet comme sujet de réflexion, laissant à la postérité un portrait sincère dans l’espoir que d’autres feront avec lui ce qu’il faisait lui-même avec les personnages de l’Antiquité : donner du sens aux allégories.
En substituant l’allégorie à la réalité, il suit un principe cher à la rhétorique et s’offre une liberté d’expression que ses contemporains ne s’autorisent pas. Cette forme d’expression faisait de lui un peintre philosophe et lui permettait, dans le passé, d’aborder les sujets aussi sensibles que ceux de la politique ou de la religion. Au moment de la vieillesse, lorsque l’esprit s’approfondit et que les forces vitales diminuent, il ne commente plus son époque mais lègue un témoignage intime sur ce qu’il retient de sa vie.
J’ai la chance de vivre près des Andelys et d’avoir une formation d’architecte me permettant de scruter les détails de cet environnement bien altéré par les reconstructions. Nombreux sont les Poussinistes qui viennent voir cette ville mais s’attardent-ils sur ce que Poussin avait sous ses yeux pendant trente ans ? Ces fragments de paysage et d’architecture parlent pourtant plus que bien des archives !
Propos recueillis le 28 mai 2017.