Nicolas Poussin, peintre classique du 17e siècle

Apollon Amoureux de Daphné, oeuvre testament de Nicolas Poussin ?

Le dernier tableau de Poussin, testament de l’artiste ?

Conservé au Louvre, le tableau Apollon Amoureux de Daphné, demeuré inachevé, est la dernière oeuvre du peintre Nicolas Poussin et peut être considéré à juste titre comme une forme de testament, réflexion de l’artiste sur sa vie privée.

Apollon amoureux de Daphné, oeuvre testament de Poussin
Apollon amoureux de Daphné – 1664 (Louvre)

Le peintre choisit l’instant particulier du mythe repris par Ovide où Cupidon prouve son pouvoir en visant Daphné d’une première flèche émoussée, chargée de plomb, rendant impossible l’amour de celle-ci avec le Dieu solaire.

Apollon vient de tuer le Python et observe la scène. Il sera dans un instant touché par la seconde flèche à pointe dorée qui, par opposition, le rendra fou de désir pour la nymphe.

Mercure, jeune frère d’Apollon, s’est approché du Dieu pour lui voler une flèche de son carquois.

En arrière-plan nous voyons, gardé par deux chiens, le troupeau d’Apollon, qui lui aussi sera volé par Mercure.

Dans le fond du tableau un mort, dont aucun indice ne permet l’identification, est découvert par un homme et une femme agenouillée.

Si le geste de Mercure a un sens astronomique, car la planète, en n’étant jamais très loin du Soleil, lui « vole » ses rayons et si, selon un autre récit d’Ovide, Mercure vole en effet l’arc d’Apollon, son insertion dans le mythe de Daphné crée une incohérence surprenante pour un peintre aussi méticuleux que Poussin.

Apollon regarde les nymphes mais ne s’élance pas à la poursuite de Daphné. En effet n’étant pas encore la cible de Cupidon, il ne peut, à ce moment du récit, être distrait au point de ne pas remarquer ce qui se passe à ses côtés et pourtant Poussin le représente ainsi.

L’interprétation de ce détail, clé pour la compréhension du tableau, se situe donc probablement à un autre niveau.

À l’époque de la réalisation de cette oeuvre, Poussin, perdant sa femme d’une longue maladie, pense déjà rédiger un premier testament qu’il révisera juste avant sa mort (Le Poussin sa vie et son oeuvre, par H. Bouchitte, p. 394).

Gaspard Dughet, son beau-frère et héritier artistique, absent de son testament

Poussin répartit sa fortune entre les membres de sa famille en Normandie et la famille de sa femme à Rome, mais curieusement ne lègue une somme qu’à deux des trois frères de son épouse.

La grande surprise de ce testament très détaillé est l’absence, parmi les bénéficiaires, de Gaspard Dughet qui est pourtant l’aîné des beaux-frères. Poussin ne laisse rien à son prétendu héritier artistique, devenu très talentueux dans la même manière de peindre.

Marie-Nicole Boisclair (documents inédits relatifs à Gaspard Dughet) remarque d’ailleurs « avec quelque surprise, qu’aucune oeuvre de Nicolas Poussin n’est mentionnée ni dans le testament ni dans l’inventaire après décès » de Dughet.

Est-il possible de penser que Poussin, considérant que Gaspard lui vole une grande partie de sa renommée acquise par un dur labeur, veuille représenter son beau-frère en Mercure lui dérobant les rayons de sa gloire d’un carquois pouvant tout aussi bien représenter son étui à pinceaux ?

Vers 1653-1655 Dughet, à l’âge de 38 ans, retourne de l’avis de tous, vers la manière de peindre de Poussin et ce dernier pense probablement en 1664 que son beau-frère, à l’image de Mercure volant le troupeau d’Apollon, lui vole depuis dix ans ses thèmes et sa manière de peindre.

Après sa mort Gaspard, en se faisant appeler Gaspard Poussin, lui volera d’ailleurs son nom. On remarquera que les stati des dernières années enregistrent Gaspard sous le nom de Possini pour la première fois (Boisclair, Gaspard Dughet, sa vie et son oeuvre).

Le mythe d’Apollon et Daphné, réflexion de Poussin sur sa vie privée ?

Cette hypothèse nous fait reconsidérer le mythe d’Apollon et Daphné sous un même angle.

Est-il vraisemblable d’apercevoir, cachée sous le mythe, une rare réflexion de Nicolas Poussin sur sa vie privée ? Bien qu’ayant vaincu son mal français (le Python) Poussin (Apollon) aurait, par désir (Cupidon), projeté son dard empoisonné par la syphilis « male di Francia’ » (Passeri) sur la fille de la maison, Anne-Marie (Daphné), contaminant ainsi un mariage qui restera stérile.

En repérant, parmi les filles de Rome (les nymphes), une jeune Anne-Marie Dughet de dix-huit ans sa cadette et fille de son ami Jacques Dughet (le dieu Pénée) qui l’avait recueilli malade puis soigné en 1625, le peintre désire une jeune fille ayant une bonne raison de fuir cette liaison en se réfugiant dans les bras de son père. Au contact de Nicolas, Anne-Marie n’aura pas d’enfant mais sera pourtant, comme dans le récit d’Ovide, couverte de lauriers grâce au succès de son mari.

Si l’on accepte d’interpréter ce tableau comme une allégorie dévoilant un drame privé au coeur de la vie de ce peintre ayant sa vie durant célébré Dionysos et la fertilité, il est alors possible de reconnaître dans les personnages ses proches héritiers mentionnés dans son testament : Catherine et Barbe, les deux nièces de Poussin ayant veillé sur lui après la mort de sa femme, seraient les deux nymphes au-dessus d’Apollon. L’une observe son oncle Gaspard volant les rayons et l’autre se tourne vers sa tante qu’elle voit morte à l’arrière-plan sous les regards de ses parents, Jeanne (soeur d’Anne Marie) et Sébastien Cherabito.
Les deux chiens seraient Louis et particulièrement Jean qui, tout en regardant sa soeur mourir, reste le fidèle beau-frère que Poussin nomme, en tant qu’exécuteur testamentaire, gardien de son héritage et auquel il donne tous les pouvoirs afin de liquider ses biens après sa mort.

Se sentant incapable de finir sa dernière peinture, Poussin n’attend curieusement pas sa mort pour en faire don, selon Bellori, au plus tard en 1664, à son ami de longue date, le cardinal Massimi.

Le 21 novembre 1664, Poussin dicte un testament dont le contenu reste inconnu et qu’il amendera le 21 septembre 1665, deux mois avant sa mort à l’âge de 71 ans et 5 mois, un testament dont Gaspard Dughet semble bien absent.

Ce texte est extrait du dernier ouvrage de Guy de Compiègne, Nicolas Poussin, l’Ambiguïté Recherchée, paru en 2015.

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