Nicolas Poussin, peintre classique du 17e siècle

Analyse de la composition de La Bacchanale à la Joueuse de Guitare

Une approche analytique de la proportion dans l’oeuvre de Poussin

La Bacchanale à la Joueuse de Guitare ou La Grande Bacchanale (circa 1627-1628), en dépôt au musée du Louvre-Lens, représente une scène champêtre avec cinq hommes couronnés de feuilles de vigne, deux femmes et quatre putti.

Si rien ne permet de penser qu’un des personnages est le dieu Dionysos, la présence de ses attributs – bouc, masque de comédie et grappe de raisin – suffisent à évoquer sa présence.

Pierre Rosenberg, dans Nicolas Poussin, les tableaux du Louvre, nous rappelle qu’une bande de 5,5 cm de long sur 7,5 cm de large a été ajoutée sur la droite du tableau. Nous pouvons donc supposer que le format d’origine était d’environ 121 cm de haut sur 170 cm de long, soit le format de type A4 couramment utilisé de nos jours dans l’imprimerie.

C’est le seul format qui ne perde pas sa proportion originale en se divisant. Et il y a deux manières d’utiliser géométriquement ce type de rectangle : soit le diviser en deux dans le sens de la longueur et produire ainsi deux autres rectangles similaires  (c’est ce que nous faisons en changeant le format de notre photocopieur d’A3 en A4), soit en extraire le carré original en rabattant un des longs côtés sur l’autre, ce qui forme la diagonale du carré d’origine. Ce carré ainsi formé peut ensuite être divisé par la proportion du nombre d’or, principe géométrique oublié de nos jours mais bien connu au temps de Poussin.

Le fond de La Bacchanale à la joueuse de guitare peut ainsi être analysé géométriquement en utilisant les propriétés très particulières de ce format pour le décomposer afin de découvrir certaines intentions du peintre et admirer la mise en proportion des éléments constitutifs.

La première division dans le sens de la longueur isole deux rectangles égaux (A et B).

La scène illustrée dans le rectangle (A) se concentre sur les effets enivrants du vin et c’est cet état sacré que l’on demande au bouc dionysiaque de constater au cours d’une libation s’apparentant à un baptême dionysiaque. L’ébriété est aussi représentée au bas ce rectangle par un putto qui semble endormi d’ivresse.

Le rectangle (B) concerne la célébration du vin sous le regard du masque théâtral tenu par un putto. Le sommet et la base de cet axe médian sont à l’origine de deux courbes entourant l’officiant. Notre regard se focalise ainsi sur cette partie du tableau et plus précisément sur le pichet d’argent permettant de verser le vin dans une coupe d’or. Cette concentration du regard est accentuée par les bras et la guitare pointant tous vers cette zone du tableau dans un mouvement d’hélice qui imprime une rotation autour du cercle d’où coule le vin sacré, évoquant ainsi le déséquilibre de l’état d’ébriété.

Ce mouvement nous renvoie sur les deux grandes courbes que nous considérions plus haut pour nous faire observer que celle partant du sommet de l’arbre pointe vers le bouc alors que celle partant du pied du personnage vu de dos, pointe vers la grappe de raisin. Le bouc et la grappe sont deux attributs majeurs du culte de Dionysos. Cette célébration païenne accompagnée non seulement de la musique d’une guitare mais aussi de celles des bracelets de grelots que l’officiant porte à un poignet et une cheville, n’est pas sans évoquer, pour un chrétien, l’élévation du vin au son d’un carillon de cloches.

Les rectangles A et B peuvent être à nouveau divisés pour former quatre rectangles égaux (A1, A2, B1 et B2) de mêmes proportions.

Lorsque les carrés d’origine en sont extraits, le point le plus lumineux du tableau et le verre cristallin qui recevra le vin dionysiaque sont symétriquement reliés.

La géométrie exprime donc précisément l’intention de lecture proposée par Poussin : une mise en relation de la puissance d’Apollon, le dieu solaire au centre du cosmos, et celle de Bacchus, le dieu des métamorphoses omniprésent sur terre.

Les rectangles (A1, A2, B1, B2) peuvent continuer à être divisés méthodiquement pour en extraire les carrés permettant à Nicolas Poussin de régler proportionnellement tous les éléments de son tableau.

Pour ceux qui voudraient approfondir  cette approche analytique de la proportion du cadre du tableau chez Nicolas Poussin, je recommande la lecture de  l’article publie sur le site sur la géométrie du carré et la construction du cadre.

Cette lecture géométrique qui met en relation, au son d’une guitare et de grelots évoquant les cloches « proclamant Dieu à l’horizon » de Charles Péguy, la lumière de l’horizon avec son ballet de couleurs, et le rite dionysiaque de l’ébriété avec son instabilité, nous fait considérer avec d’autant plus d’attention la présence du personnage féminin au regard inspiré tenant une plume à la main, que Pierre Rosenberg identifie très justement à la poésie.

Guy de Compiègne, février 2016.

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