Nicolas Poussin, peintre classique du 17e siècle

Le Massacre des Innocents à Chantilly, par Guy de Compiègne

Si « Bacon » a certes permis d’inscrire un beau nom sur une affiche promotionnelle, son tableau de taille modeste, mal éclairé et confiné au coin d’une salle nous fait douter de la pertinence d’un choix qui promettait pourtant une confrontation intéressante entre modernes et anciens. Quant au très beau charnier de Picasso, que partage-t-il avec le Massacre des Innocents de Poussin au-delà de la violence du sujet ? Est-ce suffisant pour justifier sa présence à Chantilly ? Le seul tableau qui semble a priori apporter du sens à cette exposition est celui de Guido Reni mais en les accrochant aux deux extrémités d’une salle remplie de visiteurs, a-t-on en pensé au-delà d’un impératif illusoire de symétrie, à faciliter le travail de ceux qui voudront voir et réaliser pourquoi Nicolas Poussin lui préférait Le Dominiquin ?

Revoir Le Massacre des Innocents de Poussin sous un éclairage de qualité avant qu’il ne retrouve la place imposée par le duc d’Aumale justifie pourtant pleinement le déplacement. L’émotion assourdissante des mères en pleurs, amplifiée par l’architecture minérale et masculine du décor, continue de résonner dans nos têtes bien après avoir quitté Chantilly. Et comment rester insensible lorsque de l’autre côté de l’autel surélevé où se déroule le sacrifice, une femme hagarde, nous voit éprouver le poids de la colonne s’appuyant, avec autant de force que la jambe du soldat, sur le corps d’un nouveau-né cloué au sol et blessé au flanc comme le sera Jésus Christ ?

Le Massacre des Innocents / Google

Le décor n’est pas celui de Bethléem sous Hérode mais plutôt un collage entre un paysage côtier qui pourrait être l’île de Chios où les enfants de la famille Giustiniani, commanditaire de ce tableau, furent massacrés, et Rome où ce tableau était destiné à rester si le testament du commanditaire, Vincenzo Giustiniani, avait été respecté.

Avec Poussin le décor parle et complète souvent l’histoire par des anecdotes riches de sens destinées aux connaisseurs amoureux d’antiquités romaines :

Si le motif sur la frise du temple évoque pertinemment celle du temple Vénus Génitrix, « la mère », c’est l’obélisque surmonté d’un globe qui retient notre regard. Il est l’élément étranger, toujours présent dans les tableaux de Poussin, qui va nous guider vers un sens caché du tableau.  Étrangement similaire à celui de l’Horologium que l’empereur Auguste, contemporain d’Hérode, installe sur le Champ de Mars, ce monolithe de 21m 79, redécouvert par le pape Sixte V trente ans avant l’arrivée de Poussin à Rome, faisait partie d’un gigantesque cadran solaire indiquant heures, mois, saisons et signes du zodiaque. Ce monument était en quelque sorte, pour la ville de Rome, un marqueur du temps et donc de son destin.

Poussin ne pouvait ignorer qu’en représentant l’Horologium, installé à l’origine près de la future église San Lorenzo in Lucina, sa propre paroisse, il prenait indirectement part à ce drame mais souhaitait-il nous faire voir une corrélation, au-delà des époques, entre la violence du destin des innocents de Chios, ceux de Bethléem, celui de l’autre enfant né dans cette ville et les sacrifices aux divinités aux portes des temples ? Dion Cassius XLIII,24 rappelle que malgré l’interdiction des sacrifices humains en l’an six cent cinquante-sept, deux hommes furent encore immolés sur le Champ de Mars en l’an sept cent huit (45 av J.-C). Cette imbrication de thèmes sur la violence dans un cadre évoquant Mars et Vénus, dieux de la violence et de la maternité est plausible et correspond à ce que nous attendons de la peinture de Poussin.

L’exposition de l’Orangerie de Chantilly semble inconsciemment vouloir développer ce vaste sujet mais, en insistant sur la violence de l’homme, elle esquive celle des dieux ainsi que le rapport entre ces deux violences qu’exprime le sacrifice à des fins rituelles ou politiques lorsqu’il s’agit des dieux sur terre.

Poussin, Le Massacre des Innocents
Picasso, Bacon
Du 11 septembre 2017 au 7 janvier 2018
Salle du Jeu de Paume du Domaine de Chantilly

Guy de Compiègne, septembre 2017

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