Nicolas Poussin, peintre classique du 17e siècle

Entretien avec Guy de Compiègne pour son essai sur Poussin et les maîtres du jardin japonais

Guy de Compiègne est un architecte amoureux de Poussin et des jardins japonais. Son livre Le Chemin du Regard – Nicolas Poussin et les maîtres du jardin japonais, qui vient de paraître, est une approche originale et brillante du travail de Poussin, qui se lit avec délectation. Nous l’avons rencontré pour échanger sur l’essai, paru aux éditions du Varulv.

Le Chemin du Regard - Nicolas Poussin et les maîtres du jardin japonais
Le Chemin du Regard – Nicolas Poussin et les maîtres du jardin japonais de Guy de Compiègne

La librairie du jardin des Tuileries a organisé, le 5 juin 2014, une présentation et signature du livre Le Chemin du Regard par Guy de Compiègne :

Pourquoi ce nouveau livre sur Poussin ?

Cela fait 25 ans que j’ai une passion pour Poussin et à peu près 20 ans pour les jardins japonais.

Étant architecte et ayant vécu trente ans en Australie, l’architecture japonaise m’était familière et je me suis donc naturellement intéressé aux jardins japonais.

Pour Poussin c’était moins logique, mais à force de regarder, de lire des livres d’intellectuels, de relever cette admiration systématique pour Poussin – qui est tout de même un peintre assez difficile à pénétrer – je me suis dit qu’il devait y avoir quelque chose que je ne voyais pas ; je ne comprenais pas pourquoi il existait des idées aussi diverses sur son oeuvre, sur autant de siècles.

Je me suis donc mis à faire des recherches sur le sujet, que j’ai abordé d’une manière architecturale, c’est-à-dire par l’étude des tracés géométriques. Ce n’est pas le centre du livre mais c’est une partie importante et peut-être une des plus ardues. Cette approche m’a parue justifiée car Poussin prétendait n’avoir rien laissé au hasard. J’ai donc étudié les tracés directeurs identifiés par le passé, mais les ai trouvés peu convaincants, voire un peu tirés par les cheveux, pour être employés de manière régulière.

Si Poussin a utilisé des systèmes de proportions, il a dû nécessairement considérer le cadre. Et c’est là où je me suis aperçu d’une chose assez étonnante : ses formats ne correspondaient pas aux trois formats classiques de la géométrie, le nombre d’or, la diagonale du carré et le carré, mais correspondaient à une combinaison ou plutôt à un assemblage de ces figures primaires. Une méthode que j’explique dans le livre et qui me semble très utile à connaître.

En somme son alphabet était composé de cinq figures qu’il assemblait, avec des formats préférentiels.

Lorsqu’on applique cet alphabet et qu’on regarde à quoi cela correspond dans les tableaux, on tombe sur des endroits particuliers, qui ne sont pas au milieu, sur des endroits qui ne sont pas ceux auxquels on pense.

Dans le Printemps de la série des Quatre Saisons par exemple, cela ne tombe pas sur Adam et Eve, mais sur la base de cette spirale, de cette foudre de lumière en arrière-plan à gauche, sur la petite clairière. Un jour, en observant le tableau de plus près, j’ai découvert que cela correspondait précisément à un petit arbre éclairé. C’est amusant comme histoire : le printemps, la foudre de lumière, la fertilité de la terre…

Et c’est ce qui est absolument passionnant chez Poussin, ce sont ces détails chargés de sens que révèlent progressivement ses oeuvres. Vous pouvez très bien regarder une toile pendant des années, et n’y découvrir un détail vous ayant échappé que longtemps après. C’est vraiment ce que j’aime chez Poussin, cette richesse dans les différents niveaux d’interprétation.

J’ai donc ensuite analysé les tableaux et ai découvert que Poussin y fait une distinction entre l’histoire et le sujet, ce qu’il dit d’ailleurs expressément dans une lettre adressée à Chantelou. C’est là le coeur de l’affaire : l’histoire ne doit pas forcément coller au sujet.

Prenez le Massacre des Innocents de Chantilly : la violence, l’histoire de la violence, ça colle. Mais dans certains cas il en va autrement, comme par exemple avec Achille à Skyros, conservé au Musée des beaux-arts de Virginie. Le peintre va utiliser les histoires d’Achille pour en tirer différents types de réflexion : sur la nature, sur soi… Et le lac et le miroir renvoient au thème de l’introspection, que l’on retrouve également dans certains jardins japonais…

Je me suis rendu compte que chez Poussin, la partie mystérieuse est justement le sujet, et qu’il se sert de l’histoire pour l’illustrer. Et là c’est devenu vraiment très intéressant, cela m’a permis d’établir des passerelles entre son travail et celui des maîtres du jardin japonais, qui n’avaient a priori rien en commun.

Prenez le concept japonais du borrowed landscape. Ce principe de composition, dans lequel un élément extérieur au jardin est emprunté pour en devenir partie intégrante, s’appuie sur le principe visuel qui nous pousse à associer des objets de forme similaire. Le maître zen crée une connexion entre le jardin et son contexte au sens large, renforçant l’histoire qu’il nous propose d’y lire.

Observez par exemple la porte du temple de Ninna-Ji : selon un certain point de vue elle va se relier à une temple voisin pour former un nouveau temple, éphémère. Et vous avez bien sûr également les montagnes ou collines, qui sont presque toujours « empruntées » dans le design des jardins japonais.

On retrouve également ce concept dans les peintures de Poussin.

Notez par exemple dans La Manne le rocher en arrière plan. Les deux personnages principaux, Moïse et Aaron, les deux piliers de l’Ancien Testament, se retrouvent dans la forme du rocher. Puis observez le bras de Moïse levé au ciel et le creux dans le rocher en arrière-plan : c’est la même forme ! Étonnant, n’est-ce pas ?

Un autre exemple ? Dans l’Éliézer et Rebecca du Louvre, remarquez le rapprochement formel entre la colonne surmontée d’une sphère et Éliézer et son turban. Et ainsi de suite… L’action et le lieu de l’action sont associés. C’est sans fin et résolument passionnant !

Quelles sont vos oeuvres de prédilection chez Poussin ?

Je citerais le Paysage aux deux Nymphes du musée Condé de Chantilly, ce merveilleux paysage, très calme, bucolique mais pas particulièrement surprenant.

Lorsqu’on observe le tableau on remarque que les nymphes ont le sourire et regardent de manière nonchalante ce serpent dans une partie sombre de la toile. Poussin nous livre ce magnifique paysage avant de nous faire plonger dans la terreur véhiculée par le serpent, et révéler finalement le vrai sujet du tableau : le stoïcisme, où le calme et le danger doivent se côtoyer harmonieusement, qu’on retrouve d’ailleurs dans le concept zen du contrôle de soi dans le non-contrôle.

Le Paysage avec Orion Aveugle cherchant le Soleil est également un tableau exceptionnel, où Poussin se joue de notre perception.

Il existe des règles de perception visuelle inhérentes à la nature humaine : dans un tableau, nous interprétons par exemple un personnage de plus petite échelle comme situé plus loin dans la scène. Or Poussin, dans ce tableau, joue avec notre perception, en plaçant autour du géant Orion des personnages de même taille, situés pourtant à des distances différentes, exprimant ainsi la confusion d’Orion aveugle. Observez enfin le bras tendu d’Orion et sa main qui semble saisir un phare à l’horizon, pour le « guider » vers le soleil guérisseur…

Et enfin les Quatre Saisons, série qui représente un summum par les différents niveaux d’interprétation qu’elle offre. La salle du Louvre où les quatre tableaux sont exposés, même si l’éclairage y laisse à désirer, est véritablement étourdissante.

À lire ailleurs :

Pour commander le livre sur Internet :

L’ouvrage est également disponible dans les librairies suivantes :

  • Librairie du Louvre
  • L’écume des Pages
  • Galignani
  • Disponible chez l’auteur
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